• Un portrait de l'Amérique par Donald Ray PollockVoici le grand retour de la nouvelle américaine. Et d'où nous arrive-t-elle ? Comme toujours de nulle part. Knockemstiff, sud Ohio, la ville fantôme qui n'existe même plus. L'endroit où Obama n'aurait pas fait une voix, où l'Amérique se retourne sur elle-même comme une vieille chaussette et étouffe ses propres enfants. La ville de naissance de l'écrivain Donald Ray Pollock, qui signe avec le recueil Knockemstiff son premier livre.

    Donald Ray Pollock a un chouette nom d'artiste mais vient de s'inventer avec ce recueil. Il n'existait pas l'année dernière. L'homme a 56 ans et travaille dans une fabrique de papier comme employé, pas très loin des lieux du crime où il est né. La légende veut qu'il n'ait jamais mis les pieds nulle part, qu'il se nourrit de pop corn surgelé, d'insectes grillés, de bières et de vieilles drogues éventées.

    Bon sang, Knockemstiff, c'est un mélange de Deliverance, du Girls des Frères Luna, de Bruce La Bruce pour décérébrés, de Ploucland et des frères Coen de la déjante. Probablement le meilleur recueil de nouvelles qu'on a lu ces dernières années sur les tréfonds de l'Amérique qui n'existe pas. Etendus raides


    Avec ses allures de nom allemand, on aurait pu penser que Knockemstiff avait été fondé par des protestants bavarois mais pas du tout. Le nom de la ville où se déroule l'intégralité des 18 nouvelles de ce recueil (il y a une vingtaine d'années) vient d'une histoire encore plus idiote que des protestants bavarois : ce sont deux femmes, nous apprend la nouvelle éponyme, qui se sont crêpé le chignon sur la place de l'Eglise pour un homme.

    En pleine lutte, l'une d'elle aurait dit à l'autre : « Knock them stiff ». Je vais les étaler raide. Et voilà comment le meilleur nom de ville du monde a été inventé.

    Donald Ray Pollock, Knockemstiff, Buchet-Chastel, 2010.


  • Avis sur le roman Mandalas de Laurent Quintreau Mandalas est construit autour de trois histoires parallèles. Celle de Marc Fulcanelli, homme d’affaires brillant qui après un accident et uncoma prolongé découvre une vie pleine de sagesse et de sérénité.Celle de Abraham Vorsky, artiste-performeur à la recherche d’une nouvelle avant-garde et qui doit résister à la tentation d’une carrière classique. Enfin, celle de Zangpö Rimpotché, maître bouddhiste, ou plutôt celle de ses disciples et de la mise en œuvre de ses principes après sa mort. C’est cette dernière histoire qui va peu à peu faire converger à la fois les autres histoires du roman et ses différents thèmes. En suivant les principes de Zangpö Rimpotché, une de ses disciples, Valérie Foulerot-Altamont, veut créer une performance artistique composée de douze parties. Chacune d'elle a pour but de provoquer une expérience mentale différente afin de développer l'utilisation de notre cerveau.


     Mandalas possède une grande vivacité romanesque grâce à sa structure en parallèle. Alors que tout semble séparer la recherche de la sagesse, l'art avant-gardiste et le monde de l'argent, le roman nous montre les apories de chacune de ses voies et leur entrelacement.Pourtant, c'est bien la sagesse qui encadre, littéralement parlant,le roman et les deux autres thèmes. Car c'est elle qui permet à l'argent et à l'art d'acquérir une mesure qui leur permet d'éviter le désastre. Par cette hiérarchie, ce roman rejoint la tripartition de l'âme décrite par La République de Platon entre raison, cœur et désir. La raison correspond à la sagesse, le cœur correspond à l'art ( par le courage que requiert l'avant-garde) et le désir à l'argent. Comme chez Platon, il ne s'agit donc pas de choisir une de ses voies, mais d'en trouver un subtil équilibre.


     Laurent Quintreau s'est risqué à une forme romanesque délicate à manier.Si la structure en parallèle permet de provoquer l'attente du lecteur, elle risque toujours de le décevoir énormément si la fin ne répond pas à cette attente. La fin de Mandalas, sans être bouleversante, est suffisamment inattendue pour laisser une sensation agréable au lecteur. Après avoir réellement vécu dans cette quête de ces trois idéaux que sont la sagesse, l'art et l'argent, il lui reste à méditer sur l'équilibre qu'il pourra trouver à son tour.

     

     


  • Logicomix : le philosophe Bertrand Russell raconté en BDLogicomix retrace la quête des fondements logiques des mathématiques par tout un tas de logiciens ayant vécu entre la fin du XIXème et la première moitié du XXème siècle. C'est l'histoire de Ludwig Wittgenstein, Deleuze et ses livres de philosophie , Kurt Godel, Gottlob Frege... et d'autres philosophes morts avant qu'on ne soit nés.
    La prouesse des auteurs de Logicomix, c'est de faire de cette quête un sujet plus passionnant (et au moins aussi compréhensible) que toutes les quêtes heroic-fantasy du monde.

    Logicomix raconte la vie de Bertrand Russell, universitaire mi-mathématicien mi-philosophe qui à ses débuts a détruit presque malgré lui les fondements de la logique telle qu'on les concevait depuis Euclide, et qui a passé sa vie à tenter d'en reconstruire de nouveaux.

    Plus précisément, Logicomix raconte une conférence dans une université américaine dans laquelle Bertrand Russell, en 1940, est pris à parti par des manifestants pacifistes qui le somment de les rejoindre, ce qui amène Russell à leur raconter sa vie et sa quête par le menu.
    En fait, non : Logicomix raconte les débats de ses scénaristes Apostolos Doxiadis et Christos H. Papadimitriou, respectivement professeurs de sciences informatiques et romancier/mathématicien. Ils se représentent en effet eux-mêmes, tout au long de la BD, avec les dessinateurs Alecos Papadatos et Annie di Donna, s'interrogeant sur la direction à donner à leur scénario.

    Apostolos voudrait insiste sur le fait qu'il s'agit avant tout d'une histoire d'hommes, Papadimitriou voudrait faire primer les idées. De ce débat dépend la fin de la BD: est-ce un happy end ou non ?
    Cette structure narrative façon poupées russes rajoute deux niveaux à une histoire qui aurait déjà pu être largement assez compliquée. Les auteurs parviennent pourtant à se servir de cette structure complexe comme d'une force : quand l'un des fils narratifs commence à tendre vers l'incompréhensible, il est toujours temps pour l'un des autres de prendre le relai et d'expliquer par une métaphore simple des concepts qui finissent par se révéler d'une logique évidente.


  • Est-il plus difficile de trouver en librairie le dernier Marc Levy en Seine-Saint-Denis qu'en Seine-et-Marne ou à Paris ? Une étude publiée hier par le MOTif - l'observatoire du livre et de l'écrit en Ile-de-France - qui révèle de nombreuses inégalités face à l'accès aux livres, tend à montrer que oui. 
    Exemple : à Paris, on compte au total 739 points de vente et 1 librairie pour environ 4000 habitants. Dans le 93 : 64 points de vente, soit 1 librairie pour environ 46 000 habitants... Des chiffres qui n'ont rien d'étonnants : les entrepreneurs fuient évidemment les espaces les plus éloignés de Paris, défavorisés ou ruraux. A Sevran (93), à Cergy (95), ou sur tout un axe de Sarcelles à La Courneuve, on ne trouve tout simplement aucune librairie. La raison ? « C'est là où le revenu moyen est le plus bas d'Ile-de-France », explique le directeur du MOTif.
    Comment procéder alors pour réintroduire la librairie dans les secteurs les plus délaissés ?

    Les initiatives sont innombrables, mais sont-elles pérennes ?

    à suivre...