• Lydie Salvayre, La méthode Mila - suite

     

    Le récit, quelconque par lui-même et finissant en queue de poisson, est encadré par deux morceaux de bravoure, deux adresses à Monsieur René Descartes, follement rédigées dans la langue d’icelui et gentiment intempestives, drôlement irrévérencieuses. Un livre parfait pour conjurer le spleen saisonnier de l’automne. Au moins.

    Deux échantillons. D’abord, la première phrase :

    «  Puisque nous avons en commun, Monsieur, d’avoir été persécutés, vous par le grand Louis, les faux savants et les Jésuites, moi par ma mère, qui ne trouva jamais d’autre satisfaction que dans mon harcèlement ; puisque les méchants et les fanatiques sont allés jusqu’à nous exiler, vous à Egmond, moi à Moissy, vous enfermé dans un poêle, moi dans ma petite chambre ; puisque nous partageons vous et moi la même exécration des mascarades mondaines et ce même goût tranquille des déserts, des déserts sociaux je m’entends ; puisque ni l’un ni l’autre ne souffrons que quiconque s’avise de mordre sur nos retraites et s’en vienne piétiner nos inhumaines solitudes ; puisque nous avons tous deux fréquenté une prénommée Christine, la vôtre belle et de sang royal, la mienne rogue et ménagère ; puisqu’il n’est pas exagéré de dire que l’une comme l’autre voulurent notre mort et en quelque sorte l’obtinrent ; puisque nous considérons ensemble que l’air de Paris nous fut nocif à cause de l’aigreur qui y règne et du grand nombre de gens qui s’y épuisent en mensonges ; puisque vous avez affirmé que la raison était égale en tous les hommes d’où j’infère que la mienne égale la vôtre en largeur et en pénétration ; puisque vous avez enfin (fort imprudemment) exhorté les hommes à secouer le joug de toutes les autorités pour ne plus reconnaître que celui de la Raison, je m’autorise ici à secouer la vôtre, et pour tous les motifs sus-indiqués qui nous font frères, je vous déclare fraternellement ceci : considérable, Monsieur, est votre tort, considérable vis-à-vis du monde, considérable vis-à-vis de moi,. » (Pp. 11 – 12).

    Ensuite, l’avant-dernière page :

    « Mais moi je vous dis, Monsieur, que ce que vous appelez tyrannie, cet empire des corps déchaînés dans l’amour, je l’appelle grâce souveraine, je l’appelle illumination, force transfigurante, arrêtez-moi ou je vous balance un poème, en hexamètres, j’en suis capable. Je l’appelle ravissement, je l’appelle miracolo, voilà que je m’emballe maintenant maintenant comme un chanteur de variétés, tous aux abris !, je dégaine ma viole !, c’est que je suis dans un jour faste, je m’exalte aujourd’hui, demain je pleurerai, alors profitons-en. Je l’appelle miracle, disais-je, et ce miracle, Monsieur, ne peut être séparé de la raison comme le ciel ne le peut de la terre, comme le jour de l’ombre, comme la parole du silence, et comme vous de, devinez qui ? » (Page 221).

    On voudrait que ce texte soit dit par un bon comédien, tout seul, sur une scène vide, avec en face, dans le noir, un public de cartésiens apostats.